Virgules
A
Dimension importante de la dictée, où la virgule possède une existence phonétique puisque le dicteur prononce le mot virgule.
La virgule devient un signifiant acoustique.
Exemple : un concert de virgules, où le dicteur, au lieu d’un Messiaen avec ses chants d’oiseaux, ferait un concerto consistant à isoler les 250 façons de prononcer le mot virgule.
Notion de linguistique : ponctème (Nina Catach).
Pulsion d’emprise où la dictée est envisagée sous la forme d’une toute-puissance.
Agrippement (primaire) : emprise violente à la mère dont il est impossible de se séparer.
Désagrippement : céder sur le désir incestuel d’être avec la mère, ce qui introduit au cœur de soi un trou, un véritable trou de la réalité organique.
(parole) Et si la parole venait faire effet de ventouse sur ce trou, pour se substituer à la mère désagrippée, et que la parole dictée, de ce fait, devenait une forme d’écholalie fonctionnelle?
Exemple : l’usage métronomique des virgules, comme façon de restaurer une mère.
Référence : Hermann, I., L’instinct filial, Paris, Denoël, 1972.
Fonction qui met en jeu l’antécédent pronominal.
L’anaphore : Les transcripteurs… Ils travaillaient dès le matin jusqu’à l’heure du dîner.
L’anaphore, c’est le lien.
La cataphore : Le pronom employé avant la mention de son référent.
(virgule) Une anaphore et une cataphore sans référent, qui servent à signaler l’installation du dicteur dans le domaine de la parole.
Citation : « […] il se trouve que, pour moi, la virgule, lors de la dictée, représente cette forme d'anaphore et de cataphore, de façon simultanée, et c'est troublant chez moi, je m'en aperçois, comme s'il fallait, et je le répète, parce que je ne suis pas sûr d’avoir été bien compris, c'est-à-dire de m’être exprimé correctement, comme si, donc, par le biais de la virgule, qui aurait une fonction anaphorique et cataphorique, je signalais, dans le domaine du langage, un marquage, c'est-à-dire mon installation, dans le domaine de la parole qui dit, en quelque sorte, j'y suis, je parle, j'ai parlé dans le passé, je suis dans le présent, et je parlerai dans l'avenir. » (Traité de virgulogie, dictée 105)
Quand le dicteur se réveille, il prononce des virgules.
Citation : « Il m’arrive de me lever, ainsi, au beau milieu de la nuit, et ce n'est pas du somnambulisme, c’est sans doute un réflexe tout à fait pavlovien, qui me conduit à virguler, sans qu'il y a de mots […] prononcés, sauf le mot virgule, en chaîne, ce qui pourrait être une solution de facilité quant à mes travaux à venir. » (Traité de virgulogie, dictée 78)
Expression récurrente : « virgule, virgule, virgule, virgule ».
Récit du dicteur devenant un être diacritique.
Notion liée : oubli du moi.
Ne pas regarder derrière soi, parler, tenter d’aller de l’avant, sans savoir où aller.
En vérité une petite méthodologie, qui consiste à s’accrocher à la virgule.
Plus précisément : Séquencer le langage en petites sections, couper mentalement, de telle sorte que la constitution du langage se caractérise par de petites unités de sens.
Se ressent lorsque le dicteur dicte.
Point de départ de la dictée.
Comme si : les virgules promettaient la possibilité d’une scansion, pouvant aller jusqu’à l’infini de l’expression.
Tant qu'il y a des virgules, je peux parler.
B
Pas seulement les actions qui consistent à faire disparaître d’un texte un mot incommodant, mais une expression mythopoétique voire anthropologique.
Verbe : bifurquer.
Titre et mot central d’un texte de Michel Leiris, La règle du jeu 1. Biffures, pour qui les biffures sont des énigmes signifiantes rattachées à sa vie personnelle, et qu’il qualifie de mâchoires du monde.
Citation : « […] un certain nombre d’expressions tiennent lieu, comme je l’ai mentionné, de trésors de signifiants, c'est-à-dire de dépôts d'énigmes personnelles, qui proviennent de l'histoire familiale, de la vie sociale, de la vie imaginative, de la vie des rêves, de la vie de l'inconscient, toutes formes de vies, rassemblées en un seul homme, Michel Leiris, qui ainsi, par les biffures, arrive à tenter de comprendre ce qu’a voulu dire ce mot. » (Traité de virgulogie, dictée 105)
Référence : Leiris, M., La règle du jeu 1. Biffures, Paris, Gallimard, 1948.
C
Justement qu’elle sonne, c’est bête, qu’elle sonne virgule.
Et que parfois c'est un déclic, parfois c'est une clochette, parfois c'est un martèlement, parfois c'est une dague qui frappe durement un obstacle de métal, parfois c’est un coup de glas qui s'enfonce dans la chair fraîche, parfois c'est un baiser, parfois c'est une embrassade, parfois… c'est une union, un amour premier, le premier amour, on se touche presque pas, et de toute manière les doigts sont électriques, à distance, je sens l'autre, je la sens, parfois c'est cela, aussi, la virgule ça accroche, ça lie, ça permet de lier, en fait, si on reprend ce que j'avais à l'esprit, à propos du petit crochet de la virgule un peu comme un hameçon, si vous voulez, on peut dire, je ne crois pas que ce soit exagéré, que la virgule permet de faire en sorte que le lien soit tendu sans qu'il n'y ait de disruption.
D
Attribut de la virgule, entendue comme une façon de décélérer. Ça arrête une phrase.
Figures : une ceinture de sécurité, une camisole de force.
Pauses respiratoires créées par la virgule.
Citation : « […] les virgules, chez moi, sont une manière de créer des séquences, identifiables, en quelque sorte normées, posées, inscrites, dûment numérotées, que d'une certaine manière, qui, dans ce processus, déterminent, dans l'énonciation la plus concrète de la parole, c’est-à-dire le fait de dicter, des pauses. » (Traité de virgulogie, dictée 96)
(dictée) Signalétique créée par l’usage de la virgule. À la lecture ou l’audition, la virgule impose un déclic mental.
Effet : dans la dictée, la virgule fait cliquer le langage, comme on peut taper des mains ou claquer des doigts.
Une énigme pour le dicteur, c’est-à-dire une impression, dans l’instant présent, que quelque chose se fait entendre dans l’arrière-monde.
Synonyme : une expression sonore se jouant dans une immédiateté absolue, mais qui, par son énigme, nous renvoie au monde du lointain.
Instant de couplage entre la perception sensorielle et la réalisation émotionnelle.
Exemple : un fan de voitures Porsche qui, entendant le bruit de cette voiture, associe à cette concrétisation sonore, à ce signifiant, un signifié qui le conforte.
Déclics dangereux : des déclics homicidaires, des déclics qui sont des voies de fait, des déclics qui sont ceux de l’impulsion.
La virgule est un crochet, une coquille, un coquillage, elle est en partie striée, en même temps qu’elle est ovale, en fait elle ne l’est pas.
Elle se termine, telle que je me l’imagine, par un dard.
Lié à une façon de vouloir créer un esprit de système.
Citation : « En l’apparence, ça a l’air compliqué, et je me dis bien, aussi, qu’il y a dans ce que je viens de dire, que j'ai déjà oublié, une façon de vouloir créer un esprit de système, avec ces parenthèses ridicules, mais en tous les cas, se rêver , se rêver, c’est le monde des amulettes et des charmes, se rêver, mais comment, se rêver, tel que rêvé, pourrais-je dire, mais ce n'est pas original, par sa mère, dans la confluence de deux univers de rêve, comme ces regards dont je vous ai parlé, tout à l'heure, celui de la mère et celui de l'enfant, sans que je ne puisse m’empêcher, sur ces questions, de ressentir une nostalgie qui pèse […] » (Traité de virgulogie, dictée 9)
La dictée en est une expression. On ne parle pas dans le vide, jamais, ça n’existe pas, on ne parle pas dans l’attente de l’amour.
Synonyme : to belt (Billie Holiday).
Pas autre chose que des vœux pieux, s’il n’y a pas d’autre personne pour les recevoir.
Le destin des virgules étant non de s’envoler, mais de chuter.
Figures liées : valises de mots, catacombes de mots.
Lorsque les dictées deviennent des ordures.
Synonymes d’ordures : archives, corps morts.
Citation : « Quelle horreur ! Quelle conception bizarre de l'écriture, tandis que mes collègues cherchent, malgré tout, le soleil éclatant dans un ciel bleu, l'inspiration qui se manifeste sous la forme de… virgules ailées, alors que je me retrouve, au fond de la mine, dans les catacombes, dans les usines de traitement des eaux usées, je ne sais trop, à patauger dans mes fictions où les virgules ont l’apparence d'autant de silhouettes de corps mort. » (Traité de virgulogie, dictée 38)
La virgule comme un os, comme une forme de dentition animale, comme un brochet.
(médecine dentaire / carrosserie narrative) Se répare.
Citation : « […] il y a encore des gens qui sont capables de réparer des virgules amochées, dans des entrepôts, dans des ateliers de carrosserie narratifs, ou, si vous le voulez, dans des ateliers spécialisés, des boutiques, des boutiques spécialisées dans la manipulation des virgules, ça fait haut de gamme, mi de gamme, absence de quoi que ce soit qui ait de la valeur […] » (Traité de virgulogie, dictée 22)
(corps) Avec la langue, la luette, le pharynx, la bouche, la mâchoire, partie du corps dont on se sert pour dicter.
Histoire liée : désert, là où le dicteur crie avec sa bouche pleine de dents.
Propre à la virgule. Se dit de l’introduction d’une différence infinitésimale, par le biais de la virgule, entre ce que le dicteur dit et ce qu’il dit.
Du point de vue temporel, il s’agit d’un moment de suspension dans la dictée.
Notion liée : respiration.
(narratologie) Fait jouer la distinction canonique entre le discours et l’histoire.
Citation : « Ce que je dis, au temps présent de l'énonciation, c'est ce qui se passe de virgule, c'est la phrase qui continue, qui se dévide, en quelque sorte, même si, parfois, les virgules abondent, mais alors, ces virgules qui abondent, dans une phrase assez longue, ont simplement une propriété de découpe qui relève, chez moi, de la nécessité de m'interrompre un bref moment, pour décider de l'orientation dans laquelle ira mon discours. Il y aurait donc des virgules qui sont de nécessité, celle qui, par exemple, prennent place dans le cours d'une phrase longue pour laquelle je tente d'établir, parfois de façon totalement improvisée, une ponctuation fantastique qui permet de distinguer, sans que je ne m'en rende compte, certaines subordonnées, sans que je me soucie de savoir si elles sont relatives ou explicatives, ce qui m'importe, alors, cela relève de l'intuition, du pressentiment… du dictateur que je suis, ce qui importe, donc, c'est la nécessité de pouvoir instaurer, dans mon univers mental, des séparations qui ont pour fonction, encore une fois, de distinguer l'ayant dit et le… et le dire lui-même. Ce qui a été dit appartient au passé, c'est incroyable, cela va à toute vitesse. » (Traité de virgulogie, dictée 37)
E
Dans la parole, ce à quoi on tente d’échapper. L’absolu qui se trouve au bout de la route, là où le langage cesse.
(dictée) S’évite, ou se repousse, par le biais de la virgule.
Citation : « […] les virgules, alors, servent d’accroches, je ne sais pas si le terme existe en français, je le crois, servent, je ne me souviens plus du langage technique, à ce sujet, de clous qu’on enfonce dans la roche, alors qu’on fait de l’escalade, en montagne, que l’on se sert du piolet, c’est un instrument, me semble-t-il, et de tout ce réseau de cordes qui assurent le rappel […] » (Traité de virgulogie, dictée 112)
(rhétorique classique) Organise ce que les Grecs nomment des périodes.
État que le dicteur privilégie dans l’acte de dicter, la virgule faisant intervenir, dans le registre de l’expression orale, un équilibre entre les propositions.
Figure vieillotte : l’acrobate qui marche sur un fil de fer.
Contrairement aux Grecs, l’équilibre créée par les virgules que prononcent le dicteur sont instinctives. Primat de l’instinct et de l’oralité.
Citation : « […] quelque chose me dit, dans le domaine de la diction et de l’arrimage de la diction et du corps, qu’il me faut faire non pas une pause, mais ce que j'appellerai, à défaut d’autre terme, une scansion, dans le domaine du discours, pour que je puisse continuer à parler. » (Traité de virgulogie, dictée 104)
(psyché du dicteur) Rôle fondamental des transcripteurs dans cet équilibre.
F
Démesure qui témoigne d’un rapport au langage qui se joue dans l’actualité de la tragédie.
(mythologie) Lorsque le sujet furieux ne vit plus dans le strict monde de l’intersubjectivité propre au genre humain, mais s’adresse, cette fois, aux dieux.
Dans sa forme première, le signe d’une impulsivité. Une impulsion qu’on ne peut maîtriser, une volonté d’aller de l’avant, de fuir, de partir en errance, de faire que tout l’être décolle, s’émancipe, s’affranchisse, explose, parfois, dans une accélération qui fait en sorte que la durée n’a plus aucune valeur.
Excitant artificiel de la fureur et de l’accélération : la drogue (amphétamines, psychédéliques, etc.). Exemples : Henry Miller, Allen Ginsberg, Gregory Corso, Michael McClure, William Burroughs, Jack Kerouac, Malcom Lowry.
(vision de la littérature) La littérature non comme l’expression d’un excès de drogue, mais une quête d’accélération, non pas en direction d’une surréalité, mais d’une réalité.
La fureur est convenue par la manière de s’accrocher aux virgules, celles-ci l’empêchant de devenir une forme d’excès.
Les virgules sont des freins qui régulent la fureur, des dos d’âne sémantiques, des ralentisseurs qui permettent d’atteindre une vitesse acceptable.
(dictée) Concourent à la création de moments paroxysmiques où le dicteur, tremblant comme une feuille, se transforme en homme furieux. Alors que, pourtant, il dicte dans le vide, sous le regard des dieux, du néant, du mur impossible à franchir du langage.
L’un n’est pas l’autre. La fureur possède des fondements mythologiques, elle est propre aux dieux, elle manifeste une colère qui provient de l’au-delà, d’un supramonde. La rage possède des fondements sociaux, forme de colère immotivée, d’intolérance, de violence humorale.
Exemple de rage : celle de V. S. Naipaul à l’égard de ses congénères, perçus comme des êtres incapables de penser selon le principe de l’individualité.
M
Ce qui s’entend de façon furieuse dans la dictée. Le martèlement de ma prose, par le biais des virgules.
Notions liées : fureur, acoustique et phonétique.
(perspective matérielle) Une façon de se faire entendre dans la dimension percussive du langage, de s’expulser en tant que corps étranger.
Synonymes : percussion, trépidation.
Citation : « […] ce que j'aime, dans la virgule, c'est justement qu'elle sonne, vous allez me dire que c'est bête, qu'elle sonne virgule, c'est vrai, et qu'elle sonne, parfois c'est un déclic, parfois c'est une clochette, parfois c'est un martèlement, parfois c'est une dague qui frappe durement un obstacle de métal, parfois c’est un coup de glas qui s'enfonce dans la chair fraîche, parfois c'est un baiser, parfois c'est une embrassade, parfois… » (Traité de virgulogie, dictée 86)
Le bercement relève du vaste domaine des mères. Une forme ovale, toute maternelle, qui me permet d’imaginer que je puisse être rescapé par ma mère.
Synonyme : apaisement.
La conjugaison du martèlement, qui suppose une fureur, et du bercement est ce qui, dans le langage, maintient en vie le dictateur.
Pouvoir de la virgule : devenir un petit crochet qui martèle et berce.
Cette idée d’une rythmique qui intervient, chez l’enfant, et plus tôt, dans le ventre de sa mère. Façon de pouvoir se lier au cœur de la mère.
Notion liée : accordance (Boris Cyrulnik).
Une façon de vivre.
Exemples : la manière dont nous vivons, dont nous dormons, tous ces rythmes, petits et grands, ces insomnies, ces migraines.
Le dicteur n’a aucune idée de ce que c’est.
Citation : « La métrique somatique, je vais être franc avec vous, je n’ai aucune idée de ce que c'est. En fait, j’avais probablement à l’esprit qu'il y a dans le corps humain et l’expression de la dictée une biorythmie qui organise secrètement la manière dont nous modulons notre propos, dès lors qu'il est parlé, tout particulièrement dans le cas de la dictée, de façon à maintenir une résonance voire une symbiose entre les mondes externe et interne. » (Traité de virgulogie, dictée 68)
Tonalité, au cœur du propos du dicteur, introduite par les virgules.
Effet : asthénie sensorielle.
S’oppose à l’expressivité du comédien et de l’acteur.
Citation : « Je suis le seul maître du jeu, je m'en remets, comme je l'ai dit tout à l'heure au proto-narrateur, à cette instance de la vie psychique qui en quelque sorte définit, à ma place, ce qui doit être dit, puisque je tente, par une forme de motononie de monotonie métronimique, de m'évader de moi-même, de provoquer non pas un état de transe, ce serait bien prétentieux, mais une forme de vertige, dans l'exercice de la parole, puisque les mots, peu à peu, perdent leur signification et deviennent des répertoires de sonorité, puis d'impressions sensorielles qui se lient à des souvenirs, à des formes éveillées, en quelque sorte, de la conscience, la mienne, qui joue avec toutes sortes d'images qui proviennent d'un arrière-plan psychique. » (Traité de virgulogie, dictée 45)
(psychanalyse) Arrêter de réclamer son dû, l’objet total qu’est le sein maternel.
Notion liée : désagrippement (Imre Hermann).
Séparation plénière à laquelle oblige l’usage de la virgule.
Permet d’éviter de basculer dans une logorrhée, qui consisterait en une parole fusionnée au corps maternel.
Notion liée : déclic, qui instaure cette séparation et sauve le dicteur de l’homéostase narcissique. D’être trop gavé, on meurt.
Dispositif qui favorise, en un lieu qui est une inscription topique, un départ, une fuite, un vagabondage, une disparition.
Notion voisine : ligne d’erre (Fernand Deligny).
(virgule) Suppose un amarrage, un accrochage, c’est-à-dire un lien. C’est expérimenter ce qu’il y a de plus dangereux puis lancer des câbles d’amarrage en direction d’une capsule de survie.
Petite pause temporelle, introduite par la prononciation du mot virgule, permettant au dicteur de se demander où aller.
Notion liée : division respiration (principe de).
Comparable à un truc ou une astuce d’improvisation.
L’une des caractéristiques parmi d’autres cherchant à cerner la diction du dicteur.
Citation : « […] il y a une partie de moi, dans le processus de la diction, qui est en quelque sorte accéléré par le rythme propre à l'oralité, et l'impossibilité de s'interrompre en cours de dictée, car, pour moi, cela est un drame, je ne peux l'accepter. Si j'ai commencé à parler il faut je continue. Si j'ai commencé à dicter, il n'est pas question que j'abandonne en cours de route c'est clair. » (Traité de virgulogie, dictée 37)
O
Relation très étroite avec le primat du rythme.
Concept lié : ponctuation (Henri Meschonnic).
« La virgule c’est l’homme. » – Victor Hugo. L’oralité émerge d’un refus des complications de la ponctuation (points-virgules, deux-points, etc.), au profit d’une ponctuation minimale.
(dictée) Permet une circularité de l’expression que ne permet pas la prose écrite. La parole va bien plus vite que l’écrit.
P
Mode de prédilection de la dictée, la circularité de la pensée étant comparable à une marée montante et descendante. Les virgules permettent d’arrimer le tout, d’éviter de chavirer.
La manière dont on pense quand on passe toute sa vie à s’agripper au corps de sa mère.
Notion liée : agrippement (Imre Hermann).
Conséquence : retour constant au point de départ, une vie passée à tourner en boucle.
(conventionnel) La phrase simple, qui se conclut par un point, possède un sujet d’action et un prédicat.
Dans la dictée, la phrase se distend, dérape, part parfois dans toutes les directions, du fait de l’absence de point. Je parle sans cesse, je parle sans point.
Hommage lié : phrase infinie pour John.
(sémantique linguistique) Équivalent du morphème et du lexème.
Unité minimale de signification, fondée sur l’usage de la ponctuation.
Exemple : le mot bif (ou biffe), signe de ponctuation, non sous une forme graphique, qui signale au transcripteur de ne pas tenir de tel mot prononcé par le dicteur.
Notion liée : biffures.
La virgule est aussi le ponctème dont parle Nina Catach, lorsque prononcée oralement par le dicteur.
Référence : Catach, N., La ponctuation, Paris, Presses Universitaires de France, 1994.
(virgule) Sert à scander, dans un rythme, une logique qui est celle des grandes variations sémantiques montantes et descendantes, des grandes marées.
Permet « l’organisation spécifique et unique du mouvement de la parole » (Meschonnic).
Au conventionnalisme de la ponctuation, s’évader : c’est-à-dire envisager le langage non pas comme un état de fait grammatical, mais comme une création, tout simplement.
Allégorie de cette création : égrener le chapelet. Quand je vous dis que j'égrène des virgules, un peu comme le chapelet de ma tante Cécile, je vous dis tout simplement que je me situe dans un registre qui est celui de l’oralité, puisqu'il y avait dans cet acte d’égrener le chapelet, alors qu’elle parlait tout un ensemble maniement du chapelet lui-même, cette petite perle qui faisait collier, et dans ce maniement, tout un art qui, chez ma tante Cécile, correspondait très certainement à une vision personnelle, je ne dis pas ici une vision du monde, je dis tout simplement une vision du monde personnelle.
Référence : Meschonnic, H., « La ponctuation, graphie du temps et de la voix », La Licorne, no 52, 2000, p. 289-293.
Contribue au maintien d’une stase, d’un équilibre fragile, imposant une forme de nullification des contraires. Rien n’est perdu, rien n’est gagné.
Exemple célèbre : le jeu de la bobine (fort-da).
(dictée) La dictée se situe dans un autre registre.
Citation : « Et ce n'est pas dans ce registre que je veux situer la dictée, ce n’est pas dans ce jeu à somme nulle que je veux la représenter, comme s'il fallait parler pour maintenir une tension à la fois intolérable et nécessaire, une forme de trouble essentiel, au cœur de la vie psychique et somatique, qui ferait de la dictée une façon de se maintenir en vie, et de se maintenir, j’ose l’expression, dans la mort, du fait même, comme le rappelle Freud, à propos de son petit-fils, qui lance et ramène la bobine, comme l’homme ou la femme qui parle lance le langage, le ramène, comme l'homme que je suis ponctue sans relâche, de façon à peu près métronomique, c'est ce qui me donne l'impression, quand j'y pense, qu'il y a à vrai dire, de l'inhumanité en moi. » (Traité de virgulogie, dictée 39)
Référence : Freud, S., Au-delà du principe de plaisir, Paris, Presses Universitaires de France, 2010 [1920].
R
(virgule) Se dit d’une manière de respirer, de ponctuer avec la respiration, de respirer avec la virgule.
Façon de faire de l’ordre dans l’univers pêle-mêle du dicteur. Chaque pause, introduite par la virgule, pour quelques millisecondes, lui donne une occasion de respirer.
Incompatible avec la logorrhée, le fait de parler sans discontinuer, tout entier projeté vers l’avant, sans respirer.
Oralité : acte d’expulsion orale, d’expulsion, par la voix, d’un objet partiel. Ce n’est pas dire n’importe quoi.
(voix comme un navire) Difficulté supplémentaire, propre à l’oralité, qui consiste à tenir le cap et éviter les naufrages.
Risque : l’inanité sonore, lorsque la rythmicité fait de la voix un simple tremblement.
Notion liée : ponctuation (Henri Meschonnic).
S
Accidents de la prose, atteintes à la vie. Fallait casser le langage, je voulais faire une boucherie.
Par rapport aux virgules, qui tentent d’instaurer des séquences de signification selon un principe de segmentation, les saccades sont l’irruption d’une irrégularité au sein de la fausse harmonie instaurée par les virgules.
(dictée) Ce qui compose, avec les virgules, une prose à la fois hachurée et métronimique.
Synonyme : secousses.
Notions liées : métronome et monotonie.
Expression : Penser par saccades. Citation : « Je pense par saccades, j’aimerais faire autrement. C'est un avantage, mais cela… implique aussi des inconvénients. Je pense par saccades, je rue, je rue dans les brancards, je fais de l'impulsivité la matière de ma prose, même si j’essaie, autant que faire se peut, de la maîtriser par les virgules. Les virgules sont les châteaux forts de ma prose. » (Traité de virgulogie, dictée 85)
Scène, relevant de l’ordinaire de la communication, où chaque interlocuteur tend à subtiliser chez l’autre des arguments à propos desquels il ou elle éprouve une grande frustration.
Plus précisément : le locuteur s’empare de l’argument de l’autre pour le faire sien, le réinterprète, et cela entraîne une forme de spirale inflationniste où le jeu des arguments et des contre-arguments laisse place à la scène de ménage.
Ne se contente plus du langage, mais de cris et d’onomatopées pour faire valoir, non pas ce que l’on pense, mais pour faire entendre, dans notre démesure, ce que nous sommes.
(impensé de Flahault) Prise de parole relevant des rapports de force institués par les dimensions du genre, des relations entre les hommes et les femmes, dans le contexte des relations hétérosexuelles cisgenres.
Référence : Flahault, F., La scène de ménage, Paris, Denoël, 1987.
Rêve, dans la dictée, qui fait du souffle de l’être humain, puis du vent qui se lève, l’expression d’une liberté enfin promise.
Expression : souffle de la parole.
Emprunt aux mythologies anciennes et nouvelles de l’éther.
La virgule vient organiser ce vent du désert qui se lève.
Citation : « Il ne suffit pas de parler, de se prendre pour un vent du désert qui se lève, pour faire sens, dans la poursuite de la dictée. Encore faut-il que le propos soit organisé, qu'il obéisse, dans sa chronicité, à un travail effectif qui retient de la dictée son aspect à la fois libérateur et contraignant, ainsi que je l’ai indiqué. » (Traité de virgulogie, dictée 68)
Fonction qui a pour but de contenir le langage du dicteur, lorsque empreint de fureur.
Rôle de harnais mais, aussi, de camisole de force. Par moments, de pieux.
Si le dicteur enlève toutes ses virgules, il bascule dans une logorrhée, type de parole des plus instables.
Citation : « J’ai déjà brûlé de fureur, j'ai parlé à l'infini, j’ai parlé si longtemps que j'ai perdu de la voix, et je me suis rendu compte, à la suite de ces équipées, que je ne me souvenais de rien, que mon propos devenait une logorrhée, que toute signification se voyait perdue d'avance. » (Traité de virgulogie, dictée 96)
T
Obsession qui relève du fantasme littéraire.
Ce qui s’entreprend après avoir dicté des dizaines de milliers de virgules, des tiroirs de paroles enregistrées, des essais, des paroles libres, des réflexions du jour. Là, l’iconoclastie s’impose.
Pas seulement une expression qui se voudrait parodique, humoristique, mais un véritable traité.
La virgule, en tant qu’objet de réflexion, mais aussi principe organisateur de la dictée, est le fil qui permettra au traité de se faire et de se relever des digressions.
Citation : « Et vous voyez, vous vous en rendez compte, c'est la digression qui ressemble à une vague déferlante, et qui vient détruire mon propos initial, un propos dont je ne me souviens à peu près plus, et seule la virgule, un peu comme un lasso, un peu comme un boomerang, me permet de pouvoir, avec un peu plus de rigueur, séquencer, cadrer, couper mon discours, de façon à ce qu'il se constitue, il le faut bien, en segments, en pièces d'une partie, en pièces d’un tout, d’un jeu qui, parce qu'il est un tout, rassemble, en lui-même, toutes les combinatoires possibles qui sont celles du jeu, du tout, de la parole organisée, en fonction de ce tout, alors que la dictée, il faut le redire encore, ne s'embarrasse pas de ce principe de totalité. » (Traité de virgulogie, dictée 1)
(prose) Ce que le dictateur fait entendre de façon furieuse.
Notions liées : martèlement, saccades.
S’oppose au style confidentiel. Je ne chuchote pas, je ne crée pas les intervalles propices à de longues pauses méditatives.
(hors-dictée) Superpositions de sons, venant de l’extérieur, qui dénaturent la prose du dictateur.
Relève non d’une intention, mais d’un accident.
V
Le second est trop compliqué.
(linguistique) Le point-virgule implique une forme de proportionnalité entre propositions, et institue dans le cadre de la phrase une relation entre un antécédent et sa suite.
La virgule : crée une forme d’équilibre, de proportionnalité, mais instinctive cette fois.
(prononciation) L’un se prononce dans la dictée ; l’autre obligerait le dicteur à revenir sur la phrase qu’il a prononcée. Je n’ai pas le temps dire point-virgule, ça me demanderait de réfléchir à ce que je dis.
Une école alternative, un collège, un institut international.
Synonyme : virgulologie.
Une énigme même pour le dicteur.
Citation : « J'ai dicté, et c'est étrange, je veux vous le dire, c'est quelque chose qui me vient à l'esprit, aujourd'hui, j'ai dicté et j’ai été en quelque sorte appelé par les virgules dans mon propos, car je réfléchis beaucoup à cet aspect, maintenant, et j'y réfléchis d'autant plus que je tente de comprendre ce qu'il en est de cette stigmatologie telle que la décrit Peter Szendy, de cette virgulologie ou de cette virgulogie, pardonnez-moi, la virgulologie est vraiment une science occulte, une virgulogie qui détermine, à mes yeux, la façon dont je travaille. » (Traité de virgulogie, dictée 20)