John
A
L’histoire d’un ami que le dicteur ne connaît pas. Il arrive que les amis très chers soient des gens qui se voient peu, qui ne se parlent pas vraiment.
Vit dans sa véranda, qui lui tient lieu de lit, avec sa télévision, son portable, la télécommande, les médicaments qu’il doit prendre.
Citation : « […] je suis rentré, et je me suis excusé, je lui ai dit que je n’étais pas venu, depuis deux semaines, et il m'a dit, non non, c'est correct, il me parle en anglais, il m’a dit I’m so tired, I’m tired all the time, il a ajouté quelque chose comme, life is is strange. » (Traité de virgulogie, dictée 113)
D
Célébrations prenant la forme de la vie, aux suites du décès d’un être proche. Un appétit alimentaire et sexuel reconduit, exaucé, parce qu’il faut bien célébrer le fait d’être vivant.
Synonyme : banquets.
(psychanalyse) Forme de pulsion vitale, chez le dicteur, qui le conduit depuis quelques jours à penser qu’il lui faudrait écrire un roman sur John.
J'aimerais bien écrire, non pas à propos de John, ce n'est pas mon propos, mais écrire, dans une autre facture, encore une fois, un roman sans virgule, à propos de John, pour lui donner toute la densité de vie qu'il mérite.
E
(hommage) Créer un roman sans virgule pour John, sans ponctuation, de façon à laisser libre court à un flux de pensée qui se construirait dans un esprit de liberté.
Citation : « Mais je veux du vent, je veux de la brise, je veux du mouvement, un lâcher prise, comme on dit, de la liberté, je le répète, et ma conjointe et moi avons décidé, ces derniers jours, que nous ne reviendrions pas sur les lieux de la vie de John, car nous savons que les prochaines étapes seront difficiles, mais il ne faut pas se faire d’illusions, c'est la mort qui est présente […] » (Traité de virgulogie, dictée 118)
Trait, ou caractère, qui constitue les grandes amitiés.
John n’est pas une virgule, n’est pas une interruption, n’est même pas l’acte de faire une pause, c’est autre chose que cela, c’est un peu ma famille. Je l’ai dit, John n’est pas une virgule dans ma vie, non non, ce n’est pas une pause, ce n’est pas un bon moment, ou un mauvais moment à passer, ce n'est pas cela, cela se décrit difficilement, John, d'une certaine manière, échappe à toute ponctuation.
I
Histoire d’une discussion entre John et le dicteur, autour de Gilles Duceppe et du Bloc québécois.
Endroit où la sœur de John a donné une cérémonie pour la mort de son fils, dans une église du village.
M
La maison du dicteur et de sa famille, depuis plus de vingt-cinq ans, voisine de la maison de John.
Là où il y a de la mort.
A été mise en vente, ou sera mise en vente.
Et laissera, dans tous les cas, des souvenirs de son paysage, dans ce qui a tous les aspects d’un deuil difficile.
Ce qui termine le Traité de virgulogie pour de bon.
La maladie étant une sorte de poison qui, par définition toxique, nuit à la cohérence du propos, rend toute parole illusoire, dans tous les cas inutiles, et qui détruit, à sa source, la capacité d’élocution.
À l’idée d’un infarctus massif, d’un accident vasculaire cérébral ou de la maladie de John, le dicteur s’effondre.
Citation : « […] il en faut peu, en somme, pour que le langage se dévide, comme une bobine de fil qui qui tombe sur le plancher, il en faut peu, de même, pour que le langage cesse, il suffit qu’un homme malade, couché dans son lit, tombe au beau milieu de la nuit par terre […] » (Traité de virgulogie, dictée 119)
P
Se pense à partir d’un univers maritime, ressemble à un courant d’arrachement, une vague, à ce flux qui vous déporte et qui vous ramène sur la rive sans que vous ne vous en aperceviez.
(rêve) Prose pleine d’éclats de verre, de tessons de bouteille, de virgules qui font saigner du pied, où l’on marche pour se faire du mal.
Nécessité d’évacuer toutes les virgules, car elles blessent.
Alors je me suis dit alors, je me suis dit, je vais composer une phrase infinie, sans virgule, car j’ai l’impression que les virgules blessent, qu’elles sont de petits crochets d’oiseaux, vous savez les pinces, à la limite des pinces minuscules, mais je me suis dit, alors, j'en dois bien une à John, j’en dois bien une, c’est-à-dire la phrase la plus longue du monde, sans virgule, vous voyez.
(linguistique) Se doit d’être employé avec des guillemets, car le dicteur ne dira pas de son ami qu’il est mort.
« John est mort. » – Voilà c’est dit, la phrase infinie n’est jamais autre chose qu’un leurre.
Forme d’adieu implicite, lorsqu’on nous annonce que la seule chose à faire, chez la personne malade, est de maintenir son état.
Un point de convergence de nos affects les plus impurs, à propos de la mort, du fait de nous sentir toujours les responsables de la mort d’autrui.
Délire d’un point qui attire en lui toute forme de puissance du mal, qui s’oppose à la vie même. Une cible, un cercle, une tache noire posée pour que le chasseur puisse faire le coup de feu, nous épingler sur le carton de notre vie, ce carabinier n’étant pas autre chose qu’un Dieu Aveugle.
Ce que la virgule est, car elle donne du souffle et confère une forme d’invincibilité tout simplement inscrite dans le fait de pouvoir parler.
Dire virgule virgule virgule, à répétition, est une forme de vie, un workout, lorsque dicteur marche dans son bureau.
Suppose de ne pas accepter le point.
Citation : « Ce n'était pas seulement l'homme des villégiatures, des vacances, de la détente, du soleil, de la mer et de la plage, ce n'est pas ce n'était pas seulement cela, John était, je n’aime pas cette expression, elle a vieilli horriblement, elle fait tellement compassée, précieux, mais je l'emploie quand même, John était un passeur, mais je devrais dire, si j'étais honnête, un facteur. » (Traité de virgulogie, dictée 121)