Figures
A
Cohorte de voix qui veut se faire entendre dans la dictée, et qui met en cause l’auctorialité.
Citation : « Je pense aux transcripteurs, je pense à eux, je les vois comme de petites virgules, et mon propos, sur ces questions, n’est pas dépréciatif, ce n'est pas une façon de dire que celles et ceux qui ont transcrit comptent pour peu de chose. C'est plutôt le contraire, je les vois ces transcripteurs, je revois leurs visages, certains d'entre eux, comme s'ils étaient des virgules c’est-à-dire des accroches ou, peut-être mieux, des attaches, des attaches, sur un fil, comme des pinces à linge, dont j'ai déjà parlé à propos de la façon dont Céline constituait les manuscrits de ses livres, mais là n'est pas la question, j'imagine ces transcripteurs, un peu, un peu beaucoup trop, sans doute, comme des bouées de sauvetage […] » (Traité de virgulogie, dictée 24)
(religion de la dictée) Garde rapprochée qui protège le dictateur.
Autres figures : brigades légères, troupes d’infanterie, armée de l’air, fourmis dans une fourmilière.
B
Celui qui manie la ponctuation et la comprend comme un instrument.
Figure liée : tambour.
Personnage anonyme, aux côtés du dicteur, qui tient le rythme primaire, capable de faire en sorte que le propos qu’il tient ne se mette pas à déraper.
C
(au commencement des 4000 dictées) Le projet d’un méta-manuscrit de roman, qui finit par devenir une brousse de mots asséchés.
Devenir d’une œuvre qui survient lorsque le dicteur ne met pas de point final, évite d’affronter ce drame d’écrivain.
Notion liée : destin archivistique (de la virgule).
'ai cessé d'être obsédé par la nécessité d'avoir une pensée circonscrite par les habituelles 200 ou 250 pages que les éditeurs demandent de la part de leurs écrivains, parce qu'il ne faut pas faire trop long, parce que le papier coûte cher, parce que les lecteurs ne lisent plus de ces grands romans qui demandent une énergie considérable, on ne publie plus des romans de 600 ou de 800 pages, c'est fini.
Allégorie du bureau, endroit de prédilection pour dicter.
(air) Caractéristique qui évoque les mots, les souffles de paroles et de bave, mais également l’enveloppe sonore de soi.
Une construction du dicteur, un échafaudage, qui n’est que réussite et ne connaît pas l’échec.
Figure de la dictée, qui évoque la minceur filiforme.
Synonyme : flûte d’air.
La dictée, je le mentionnais, ressemble assez à une petite colonne d'air, ce que j'ai appelé, je ne sais pas si l'expression est juste, une flûte d'air, en tous les cas c’est quelque chose qui m'apparaît tout à fait clair, du moins dans mon esprit. Une flûte, c’est mince, selon mon souvenir, une flûte ça se tient aussi bien à l'horizontale qu'à la verticale, et si je privilégie la figure de la verticalité, aujourd'hui, et si je privilégie la figure du souffle, car la flûte est bien un instrument qui profite de la respiration et du souffle des hommes et des femmes pour faire entendre sa musique.
Étrange vortex grâce auquel le dictateur aspire à lui seul toutes les autres paroles.
(composite) Des propos rapportés, des discours entendus dont nous nous faisons les interprètes.
Monceaux créés pour se donner une existence.
Suggère que le dicteur est manutentionnaire. Je pourrais vous en parler plus longuement, mais pour l’instant il faut que je m'arrête, il faut que je termine, il faut que je rassemble mes idées, je n’ai pas fini ma journée, il me reste quelques tâches à accomplir.
E
Mots comme de l’étoupe. Lorsque la dictée devient un épanchement du moi, que le moi se met à fuiter, la parole tentant de colmater cette fuite.
F
Ce qui succède, un autre jour, à l’armée de virgules et aux rivières ensanglantées. Des arbres, des feuillus de bonne traille, des châtaigniers, mais aussi des chênes, et pourquoi pas des ormes.
Antonyme : armée de virgules.
Abri de feuillages où se produisent les premières fois. Le premier amour, la première cigarette, le premier joint, les corps nus.
Citation : « […] la découverte des corps, la promesse, non pas de la virginité absolue, mais d’une discrétion et d’une délicatesse qui sont de mise, tant il faut respecter le corps d’autrui, ici, la femme et l’homme, qui font l'amour, mais je m'arrête ici, c’est une dictée, c’est une évocation, il n’y aura pas d'images, il n'y aura pas de corps imagés, il n’y aura pas de pornographie, il n’y aura pas de jouissance sur commande, il y aura, tout simplement, deux corps discrets et secrets […] » (Traité de virgulogie, dictée 13)
G
Plein de trous, comme une maison qui n’est plus habitée depuis des années.
Dépend d’une autre figure : les petits crochets de pensées, c’est-à-dire des virgules qui permettent au dicteur de se fixer à ce corps.
(psychanalyse) Corps magnifié que tente de se constituer le dicteur.
Citation : « […] un corps qui n'est même pas, selon le propos de la psychanalyse, une concrétion de l’idéal du Moi, mais plutôt, et j’en suis là, une configuration du Moi idéal, d’un corps plus grand que nature, plus grand que le mien, plus fort aussi, sans doute pas plus agile, c'est vrai, un corps de géant, un corps d’œuvres complètes, un corps de rehaussement, un corps pour masquer la honte, la timidité, les phobies, diverses, surtout les phobies sociales, un corps pour tenter de traverser les montagnes avec des bottes de sept lieues, c'est ainsi que je vois les choses. » (Traité de virgulogie, dictée 73)
H
Renvoie à une attitude qui n’est pas celle du poète et qui implique la fureur. Je ne me contente pas, dans mon propos, de manier avec dextérité, celle du joaillier des figures, des diamants qui s’y trouvent, le langage, mais s’user de la hache.
Synonymes : coupe-lard, sabre, toute arme qui impose une main féroce.
I
Moyen de destruction et de torsion, par le biais d’un assemblage de virgules.
Offre des possibilités d’érogénéisation.
Citation : « Quand c'est tordu, quand ça ne va pas, quand ça se défait, quand ça se brise, je ne demande pas mieux, je mets en place ma petite escouade de propos qui font dans la double négation, les adverbes inutiles, les locutions de toutes sortes qui, de toutes sortes, parlant de locutions, permettent de faire un peu de chemin […] » (Traité de virgulogie, dictée 21)
M
(vocabulaire minier) Projet solitaire, dont la première étape est de forer des trous et la deuxième, d’extraire des mots.
Synonyme : carottes de mots.
Processus qui demande du temps, alors que le dicteur n’en a plus beaucoup.
Le compromis : abandonner le raffinage, au profit de minerais bruts.
Citation : « […] il y a quand même, chez moi une pente fatale qui est celle de la physiologie, alors je veux bien, dicter quinze ans de plus, mais qu’est-ce que ça donnerait, rien, alors, on a décidé, car je fais confiance à mes étudiantes et mes étudiants de ramasser tout ça et d’en faire un gros paquet, de se mettre à plusieurs, car c’est un gros travail, pour que le tout soit mis en ligne, et j’ai dit à mes étudiants, je leur ai dit il faut que ce soit raw […] » (Traité de virgulogie, dictée 16)
P
Les virgules en tant que façon de s’accrocher, de se fixer au grand corps de parole que constitue le dicteur, mais qui se révèle plein de trous, d’ouvertures béantes.
Synonymes : petits crochets virgulés, petits crochets d’oiseaux.
R
(utilitaire) Constituées, il y de cela quelques décennies, pour que le dictateur survive en cas de famines, de guerres civiles, de guerres mondiales, de guerres thermonucléaires.
(non utilitaire) 4000 dictées pour rien, une forme de répertoire de signes morts.
Accumuler tout simplement au cas.
Au cas où il en manquerait. Comme le font les stratèges militaires, le haut commandement stratégique qui, des années à l’avance, constituent des réserves d’obus, de drones, de missiles. Calculer le nombre de tanks, d’infanteries, de conscrits, de repas, de latrines, d’hôpitaux militaires, d’hélicoptères.
T
Forme de percussion introduite par la virgule dans le propos du dicteur.
Verbe et substantif : tambouriner, tambourinement.
Notions liées : martèlement, bercement, saccades.
(percussionniste) Lui, avec ses tambours et ses peaux. Le dicteur, avec sa voix tremblante.
Dire virgule introduisant quelque chose d’un rythme monocorde, comparable à un tambour.
Citation : « […] c'est dans cette mise sous tension, je le répète, de la virgule et de la parole par saccades que se joue quelque chose d'étrange, totalement dysharmonique, mais qui révèle, en moi, une musique que j'aime, il me faut la tension de la virgule, ce que j'appellerais, avec un terme qui autrefois était usité dans le domaine de la psychanalyse, la scansion de la virgule, le battement de la virgule, comme on pourrait l’penser du travail d'un batteur, dans un orchestre, qui manie ses tambours, et dans ce battement de la virgule, il y a, de manière indiscutable, une présence. » (Traité de virgulogie, dictée 86)
Abri toujours crée par soi et personne d’autre. Lieu de refuge où l’on décide de se ménager un petit monde.
(anthropologie) Lieu où nous vivons un peu comme des animaux qui vivent en meute.
Citation : « […] nous construisons, jour après jour, nos terriers, nos maisons, nos soubassements, les lieux où nous vivons, un peu comme des animaux, non pas des animaux en cage, du moins je ne veux pas m’imaginer ainsi, mais des animaux qui vivent en meute, qui sont fidèles, qui pratiquent, l'un envers l'autre, une forme de reconnaissance qui est fondée aussi bien sur l'odeur, sur l'observation des traits du visage, sur le fait de toucher, de sentir, de ressentir, que de penser. » (Traité de virgulogie, dictée 4)
Notion liée : humain-animal.
V
Figure des 4000 dictées. Un répertoire de signes morts, de mots sans usage, inconnus du public.
D’autres diraient des petites tombes.
(opération) Renvoie à une forme d’entombement, qui consiste à produire des dictées de 20 minutes ou 40 minutes que l’on oublie dans des valises.
Notion liée : destin archivistique (de la virgule).