Histoires du dicteur conteur
A
L’histoire d’un refuge, construit avec des poutres de bois, où le dicteur se sait protégé mais doit se taire.
Une machine, un char allégorique tiré par des dizaines d’enfants.
(mythologie) Ressemble à un cheval de Troie, ou encore à un Minotaure de bois.
Citation : « […] je parlais d’une seule voix, la mienne, et il m'arrivait, parfois, en des moments d'ultime solitude, à l'intérieur de ce Minotaure de bois, d'imiter, de faire le clown, un peu, de me livrer, de cette manière à des jeux de mots insipides qui me permettaient de passer le temps. » (Traité de virgulogie, dicte 64)
Consiste à écrire des romans, des chansons, des nouvelles, des contes, dès la petite école, et à accueillir avec joie les dictées de ses collègues de classe.
Histoire d’une rétention, de mots gardés dans son ventre, pour les faire siens.
(image acoustique / signifiant) Vivre dans le domaine des représentations de mots, qui se distinguent des représentations des choses.
Citation : « Ce qui m'intéressait, c'est ce qu'on appelait en linguistique l’image acoustique ou encore le signifiant. Sans m'en rendre compte, j'aimais la musique, je pianotais un peu, je regardais mon père jouer les Gymnopédies de Satie, jouer aussi du Chopin, je voyais mon père s'installer au piano, lui, musicien amateur, je le regardais de dos, j'étais admiratif, j'habitais le domaine des représentations de mots, du signifiant sonore, telle une flûte ou une cornemuse. » (Traité de virgulogie, dictée 79)
B
Là où on parle tout seul. Endroit de prédiction pour dicter, un vendredi soir à 22h ou 23h, alors que les collègues s’imaginent que leur voisin de bureau est fou.
Allégories : terrier, château d’air.
C
Lieu où les gens font plus de tâches que leurs deux mains le permettent, sans égard pour leur voisin.
Leur secret : une troisième jambe.
Possession de la grand-mère paternelle du dicteur, surnommée tante Cécile, la tante de toute le monde.
Citation : « […] c’est peut-être tante Cécile qui avait un chapelet à la main, qu’elle égrenait toute la journée, comme le temps passe, comme l’heure change les mœurs changent, les façons de vivre, le vocabulaire, la technique, la science, la science aussi change, la médecine aussi, les mots changent […] » (Traité de virgulogie, dictée 113)
(dictée) Allégorie de la virgule, qui ne revient à rien d’autre que de dire que le dicteur se situe dans le registre de l’oralité de sa tante Cécile.
L’autre versant de la vie du dictateur. Soit je dicte, soit je promène ma chienne.
Tente de se faire une place dans les virgules, et ne diffère pas sur ce point du dicteur.
Citation : « Non, je ne dicte pas lorsque je marche, j’ai mon iPhone dans les mains, j’ai mon iPhone dans une main, j’ai le sac de crottes dans l’autre, et je tiens mon chien comme je le peux […] » (Traité de virgulogie, dictée 5)
Personnage, ou chimère, qui tranche la langue à ceux qui parlent trop.
Citation : « le colonel m'a dit, encore, que tout le monde, oui, tout le monde par ici avaient des secrets de famille, des secrets qui engendraient la honte, toutes sortes d'infamies, des histoires avec la justice, des fuites en avant, ça m'a surpris qu'il emploie cette expression, des fuites, telles que moi je les aperçois, c'est moi qui parle, éperdu, angoissé et exaspéré, pour échapper à son passé, c'est ce que le colonel m'a dit, et lui m'a dit, vous avez un secret, j’lui dis, oui j’ai t’un oui bif oui, j'ai un secret, et le colonel m'a dit, d’un ton sentencieux cette fois, qui exagérait la solennité du moment, quel que soit votre secret, gardez-le pour vous, protégez votre fragilité, ne la mentionnez à personne, de peur que vous receviez un coup de poignard dans le dos. » (Traité de virgulogie, dictée 87)
Autres surnoms : l’adjudant, le capitaine.
Histoire liée : mauvais rêve.
Une colocation énonciative de voix inattendues.
Citation 1 : « Dans tous les cas, ce que j’ai ressenti, lors de ce colloque, c'était l'existence de voix, quelque chose de tout simple, chacun avait sa voix propre, totalement dessinée dans l'espace, avec ses coques, ses rythmes, ses arrêts, ses aigus, ses graves, comme s'il y avait, dans ce colloque, somme toute… ordinaire comme tous les colloques, une forme d'opéra fantastique qui voyait le jour, et chacun d'entre nous, plutôt que d'adopter le rôle de communiquant, dans les faits, on peut le dire ainsi, jouions un rôle, un rôle important, un rôle à l'opéra […] » (Traité de virgulogie, dictée 33)
Citation 2 : « […] je rentrais du travail, je rentrais d’un colloque, j’étais fatigué, toute cette attention qui est celle que l’on doit donner quand les autres vous parlent, même s’ils ne vous parlent pas vraiment, lors d’un colloque, lors d’une séance de colloque, lors d'un congrès, que c’est bizarre, tous ces gens qui parlent, tous ces gens qui regardent leurs feuillets ou l’écran de leur ordinateur, qui parlent de diverses manières, avec une voix si basse qu’on les entend à peine, avec une diction un peu empruntée, avec des énervements, pour certains, le trac, la peur de ne pas bien paraître, avec celles et ceux qui sont trop sûrs d’eux, qui paradent, qui caquettent, qui miaulent et qui aboient, qui se comportent comme des chiens savants […] » (Traité de virgulogie, dictée 31)
Le dicteur en Don Quichotte, avec sa voix monocorde. Le dicteur en héros, sans titre de noblesse de sa part.
En français : l’homme de la virgule.
Celui à qui on dit de se taire.
Autres surnoms : Comma Point, Comme Dot.
D
Un désert en Amérique du Nord, dans le sud-ouest des États-Unis, pas très loin de Phœnix, en Arizona, pas très loin de Selma.
Expression récurrente : « Je rêve que je crie dans le désert ».
(dictée) Lieu de désencombrement de l’esprit. Rien ne pourra m’empêcher de réaliser mon projet, si ce n’est des contraintes météorologiques de mon esprit, les dépressions expresses, les difficultés de toutes sortes, les enclavements cognitifs, les dérapages émotionnels, si ce n’est de ce monde entremêlé de pulsions, d’affects, d’émotions, de grouillements, de parasitages, de prises d’otage de ma pensée, de conflits de basse et de haute intensité, dans le domaine des armes verbales.
Épopée qui raconte les exploits du dictateur pour maintenir son emprise.
Exemples : il tue, il torture, il prend des coupables ; il montre à la populace qu’il a le contrôle sur l’appareil militaire et sur le chef des armées ; il rencontre ses ministres, le ministre de la Sécurité nationale et des Intérêt stratégiques ; il a la conviction que rien ne pourra lui résiste.
Son objectif détaillé : Construire, pour ce qui semble être une éternité, dans le temps présent de la vie du peuple, une emprise qui est celle de l’interdiction de parole, de l’interdiction d'échanger dans les rues sur quelque sujet que ce soit, d’écrire courriels ou courrier, de lire quelque livre qui, sauf les missives et publications officielles, pourrait contribuer à altérer le climat de calme nécessaire pour que la transition démocratique, selon les mots du dictateur, s'opère sans violence.
F
Témoin sur des dizaines d’années, sans avoir quoi que ce soit à redire, des flambées de mots du dicteur.
G
Entraîne des violences extrêmes, des rapts, des viols, des enlèvements, des bâtiments qui brûlent et des églises.
Figure récurrente de l’histoire : armée de transcripteurs.
Contre un ennemi inconnu.
Citation : « Mais je respire, j'aspire, je rejette une quantité impressionnante de gaz carbonique, je me projette dans l'avenir, à ma manière, mais je ne vois pas dans les cimes un peuple semblable à celui que nous avons été, au cours de cette guerre qui était menée contre je ne sais qui, contre je-ne-sais-quoi, à n'importe quel moment. » (Traité de virgulogie, dictée 25)
Provient de la fatigue, qui conduit à dire des choses horribles.
H
Situations dans lesquelles le dicteur se ressentait faible, inférieur. J’ai toujours usé de la parole pour tenter de pallier ces situations.
L’histoire d’un mécanisme de survie.
Citation : « […] j'avais élaboré des stratégies pour ne pas me faire tabasser, pour ne pas me faire rudoyer, pour ne pas être pris au piège. Je faisais dans la comédie, dans une forme de comédie misérable où j’incarnais un pauvre, un miséreux, un miséreux de huit ou neuf ans, un miséreux qui marchait de travers, qui boitait, et je m'étais habitué, alors que les durs des classes supérieures venaient me voir, me reconnaissaient, ils voulaient, tout d'abord me faire peur, puis, peut-être, me voler quelque chose, ou encore me taxer, je ne sais pas, je les voyais venir, je me disais, sans même le formuler de cette manière, voilà, c'est le temps, c’est le temps d'agir. » (Traité de virgulogie, dictée 74)
Lieu où le dicteur est devenu un tyran.
L’histoire du dictateur qui, à Porto Alegre, à la frontière du Paraguay, dicte au milieu de la nuit et envoie à un étudiant ses dictées comme des missiles.
Citation : « je tyrannisais, je m'en rends compte, je ne fixais pas de moment pour que la transcription soit faite, mais cet étudiant, par exemple, m'assurait que celle-ci serait prête à tel ou tel moment, comme s'il avait compris, il l’avait compris, c'était évident, que tout retard allait entraîner, chez moi, une très grande angoisse. » (Traité de virgulogie, dictée 21)
L
Récit d’une enfance marquée par une confiance démesurée envers le langage.
Citation : « J'ai cru très vite que le langage pourrait me servir à quelque chose, et puis, honnêtement, si j'y pense à deux fois j’ai quand même pu faire une carrière fondée sur l'usage des mots j'imagine que ce n'est pas rien, j'imagine que j'étais quand même assez concret, déterminé, pour me dire que ce talent en émergence pourrait, bien plus tard, servir à quelque chose, que ce n'était pas un loisir, que je devais prendre cette tâche au sérieux. N'empêche, j'ai octroyé au langage une valeur supérieure, un rôle qu'il n'a pas, et depuis tout ce temps, je ne cesse de créer, avec force lubie, des illusions qui font valoir mon sauvetage, par et grâce aux mots. » (Traité de virgulogie, dictée 52)
Signe d’un foudroiement dans la tête du dicteur.
Risque : le cancer du foudroiement, lorsque la luciole se nourrit de la matière grise du dicteur, y insémine ses larves.
Expression récurrente : « J’ai l’impression d’avoir des lucioles dans la tête ».
Doit boire de l’eau, peut-être manger un peu d’herbe et de vers de terre.
(apprivoisée) N’éprouve nulle tristesse, nul regret, nulle peine insondable.
Autre nom : mouche à feu.
M
Anecdote dans la vie du dicteur, où il consulte ces manuscrits dans la bibliothèque privée Jacques Doucet, située en face de la place du Panthéon à Paris.
Cahiers servis un peu comme sur un plat d’argent ; plus précisément, ceux qui ont servi de matrices à la rédaction de Biffures.
À leur contact, sentiment inusité de profond ennui.
Se faire interdire de parler, qu’on ne tolère plus la voix du dicteur.
Expression récurrente : « J’ai fait un mauvais rêve… »
Penser qu’on dort tranquillement, voir une grosse vague moutonnée et se réveiller en ayant perdu la voix.
Citation : « […] pour moi, la perte de la voix, c'était pire que tout, le fait d'être aveugle, le fait d'être sourd, le fait de perdre le goût, l’odorat, perdre la voix, être muet, c'était pire que tout […] » (Traité de virgulogie, dictée 35)
Lorsque les transcripteurs caviardent les propos du dictateur, les brûlent, copient sa pensée, dans le respect de la moindre virgule.
Autrement dit, rêve de sémanticide.
Précisément ce que la prose ne peut pas faire.
P
(au commencement) Parole qui fut donnée au dicteur par sa mère.
Une affaire de famille, un trait familial.
Citation : « […] puisque, j'en suis convaincu, pour ma mère, la parole était une arme, et que pour ma grand-mère maternelle, la parole était une arme, aussi ; qu'il y avait, dans cette famille folle, en apparence tout à fait normale, un excès de mots, un excès de méchanceté et de médisances, en quelque sorte nourri par une neurasthénie profonde, peut-être nommerions nous ce mal de vivre aujourd'hui une dépression majeure, je ne le sais pas, mais qui provenait, en droite ligne, de ma grand-mère. » (Traité de virgulogie, dictée 43)
Ce qu’a d’abord essayé de comprendre Madame Thibeault, en troisième année, à l’école des enfants.
« Tu parles trop toi » - Madame Thibeault.
Origine obscure, familiale peut-être.
Citation : « Je ne sais pas d'où ça vient, je n’en ai aucune idée d’ailleurs je viens d’une famille de grands parleurs, je viens d’une famille de haut-parleurs, de gens qui, c'est vrai, conservent un langage commun bien précieux, mais quand même, tout petit, une ou deux semaines, à peine, pourquoi avais-je, en suis-je persuadé, cette idée de m’accrocher à la virgule de ma mère, de la virgule de ma mère qui ressemble, tout compte fait, à un sein, et je ne m’embarrasse pas, j’ai deux semaines, des questions d’esthétique qui sont celles de la représentation et de son réalisme, pour moi, c'est simple, la virgule est une façon de m’asseoir, de me reposer, de songer, aussi, comme les grands singes, dans les arbres […] » (Traité de virgulogie, dictée 60)
I
(figure) Armée insurrectionnelle : ce dont le dictateur aurait besoin, afin qu’elle s’infiltre au cœur de ses dictées.
Je crois que j’en suis rendu à cette étape de mon parcours pour que la solitude de ma voix cesse de se faire entendre avec magnificence.
(principe de) contre-transcription insurrectionnelle. Insurrection qui résulte, chez les transcripteurs, du fait d’avoir été martelés par la voix du dictateur et d’avoir été dans l’obligation de la transcrire.
R
(rime facile) Façon de dire, dans la détresse des mots obscurs, une chanson, une ritournelle.
L’histoire de quelqu’un qui décide de rimer, de dériver dans la rime, jusqu’à déraper.
Citation : « Il se souciait peu d'avoir raison, il se souciait peu de dire, il se souciait peu de gagner au change, il avait épuisé toutes les ressources du vocabulaire, quelques mots, en somme, rien de plus, il avait décidé de tout disperser, de tout dépenser, de cesser, ah que le moi est horrible, de thésauriser, de garder pour soi, de garder dans sa tête les rimes du vocabulaire, il avait décidé, il s’en souvient encore, de devenir poète, il avait décidé de pousser la chansonnette, il avait décidé de chanter, il avait décidé de chanter des chansons à texte, il avait décidé de rimer, je vous le redis. » (Traité de virgulogie, dictée 15)
Mise en scène d’un pavé impubliable, de 6000 pages, rédigé en dix ou quinze ans.
Citation : « On m’a dit, repose-toi, fait autre chose, quelquefois, lorsque je vais… lorsque je vais chez le médecin, on me dit, avez-vous des hobbies, je leur dis que je travaille, que j'ai dépassé l'âge de la retraite, que j’aime mon métier, que ce n'est pas pour moi un métier, que c'est la pire des choses, que je ne me plains pas, que c'est comme ça […] » (Traité de virgulogie, dictée 51)
L’horizon idéal vers lequel tend la parole du dicteur, cela expliquant les efforts d’organisation acharnés des transcripteurs.
Leur rôle : Fixer cette parole, la matérialiser, l’associer par thèmes, par motifs, par parcours sonores.
Lieu de parasitage, qui gêne la parole dictée par le dictateur et le fait entrer en compétition avec les autres qui ont leur téléphone à l’oreille.
Notions liées : hors-dictée, interruption.
Citation : « On peut toujours tolérer d'entendre quelqu’un parler mais dites-moi franchement ces gens que l'on entend dans le haut-parleur, d’ailleurs de plus en plus sophistiqué, de ces téléphones portables, ces autres que l'on entend sans cesse, n'est-ce pas un peu épuisant à la longue d'être constamment débordé par les propos de gens qui racontent toutes sortes d'histoires plus ou moins insignifiantes. » (Traité de virgulogie, dictée 3)
T
Épisodes fréquents quand le dicteur était jeune homme. C’est le cœur qui bat à tout rompre, le cœur et le corps qui s’épuisent à tout rompre.
(dictée) Se répercute dans le fait de dicter de façon métronomique, comme un cœur qui bat.
Figures : tic-tac de mon cœur, tic-tac mécanique.
Notions liées : métronome et monotonie.
L’histoire d’un pharmacien sans cœur, à l’époque, dans la pharmacie Jean-Coutu de l’avenue Mont-Royal.
Récit fictif où le dictateur entreprend de léguer ses dictées à la publication, au nom d’une maison d’édition qu’il créerait et verrait le jour au moment de son décès.
Expression fumeuse : nécessité de contacter un avocat spécialisé dans les testaments de gens de lettres.
Ce qui apparaît dans le quartier.
Toilettes provisoires, lors de rénovation de longue durée, qui incarnent un refuge pour ces femmes et ces hommes qui travaillent dans l’extériorité constante.
(février 2024, rue Milton) Lieu où un homme, en désespoir, s’installa et mourut de froid au beau milieu de l’hiver.
V
Un homme, qui veille la nuit et recherche sa grandeur d’âme, avec un sens de l’honneur irréductible et un peu de lilas à la main.
Figure du dicteur, lorsqu’il s’ancre dans la fable.
Citation : « […] je vous le dis, je vis au cœur d'une fable, je vous parle de deniers, un peu plus et je vous parlerai de louis, de pièces de monnaie frappées du sceau royal. » (Traité de virgulogie, dictée 44)